Image : extrait de l’affiche présentant la première fête de l’écomobilité à Mer. Crédits : commune de Mer.
Aujourd’hui, avant-dernière émission avant la conclusion du projet Feuilles vives, qui s’achève avec un plateau en direct des Métairies du pont Saint-Michel, le samedi 25 août prochain. Avant de se rendre dans les jardins du collectif des Métairies pour un plateau sur l’agriculture urbaine, reportage à la première édition de la Fête de l’écomobilité, qui s’est déroulée à Mer le 7 juillet dernier. Au menu : atelier de réparation de vélos, balades en ville sur le thème des noms de rues, essai de véhicules électriques. L’objectif est également de communiquer sur l’action ou les projets municipaux dans ce domaine : des lignes de ramassage scolaire à pied sont en cours d’expérimentation, des « aires d’auto-stop sécurisées », ainsi que des subventions à l’achat de vélos électriques, sont envisagées.
Cinquième commune la plus peuplée du département, et principale ville de l’intercommunalité Beauce – Val de Loire, Mer est traversée par des itinéraires ferroviaires, routiers et cyclables qui relient Blois à Orléans. Située aux marges ligériennes de la Petite Beauce, la ville constitue également un pôle de services – administratifs, médicaux, commerciaux, touristiques – pour les habitants de ce territoire, aux villages et hameaux désertés de toute activité autre que résidentielle et agricole. Cette double fonction de ville étape entre Blois et Orléans, et de pôle démographique, économique et administratif au milieu d’un territoire à l’habitat morcelé, à la population vieillissante et à l’économie morose, rend la question des mobilités particulièrement sensible à Mer, avec une prépondérance de la voiture individuelle privative dans les modes de déplacement, qui marque profondément la morphologie urbaine.
Un circuit de 15 minutes à pied suffit à se rendre compte de qui règne en maître sur le centre-ville.
Dans un tel décor, entièrement aménagé pour favoriser l’utilisation de la voiture, on peut se demander quel impact auront les quelques petites mesures d’accompagnement, aménagements de voirie et événements de communication en faveur des circulations douces, sur le mode de déplacement des habitants. Et pas question de remettre en cause cette hégémonie par des restrictions à la circulation ou au stationnement automobiles : d’après ce que m’ont dit plusieurs habitants durant ce reportage, l’équipe municipale est très attachée à ses nombreux parkings gratuits en centre-ville. Une politique souvent justifiée pour maintenir des commerces en centre-ville : y restreindre l’accès de la voiture serait les condamner, au profit des grandes surfaces périphériques, disposant d’espaces illimités de stationnement. Mer est le parfait exemple que cet argument ne tient pas : son artère commerçante est déprimante tant les locaux vacants sont nombreux.
Il est donc significatif que cette fête de l’écomobilité fasse la part belle à la voiture électrique : les voitures Peugeot et Renault des deux concessionnaires de la commune, accompagnées de la flambante Tesla d’un conseiller en électromobilité, occupent ainsi intégralement la devanture de la Halle aux grains de Mer qui accueille l’événement. Si le développement massif de la marche à pied ou de l’utilisation du vélo à Mer sont rendus impossibles par l’état actuel des aménagements de voirie, la voiture électrique pourrait elle rapidement s’y sentir chez elle : reste à installer des bornes de recharge, et le tour est joué ! Et avec la proximité de la centrale nucléaire de Saint-Laurent, Mer bénéficie d’un accès sécurisé et illimité au courant électrique ; de même que les nombreux salariés EDF qui y habitent, et qui payent l’électricité à un coût dérisoire.
Or, si tous les Français troquent leur voiture thermique pour une voiture électrique, pas le moindre pas n’aura été fait dans le sens d’une mobilité plus écologique et plus durable. 41 % des particules fines émises par les transports sont produites par l’abrasion des pneus, de l’asphalte et des freins. Des pollutions qui ne sont que très peu affectées par la nature du moteur. De plus, la fabrication d’une voiture électrique est extrêmement polluante, au point qu’il faut rouler plusieurs dizaines de milliers de kilomètres avant qu’elle ne devienne plus vertueuse que son équivalent thermique. Surtout, la voiture électrique délocalise la pollution, plus qu’elle ne la réduit : les industries extractives de cobalt, de lithium, ou d’uranium nécessaires à fabriquer les batteries et à les faire fonctionner, entraînent désastres écologiques et humains, et nourrissent une corruption politique généralisée. Une transposition du parc automobile français du thermique vers l’électrique ne ferait que renforcer la dépendance de nos sociétés, pour nos déplacements quotidiens, à l’égard des détenteurs et négociants de matières premières non renouvelables, et d’une filière nucléaire dont on est incapable de maîtriser les déchets de manière satisfaisante.
On parle souvent d’écologie en termes de « développement durable » ou de « croissance verte », guidés en notre foi que des évolutions technologiques nous permettront de réduire notre emprunte environnementale sans rien changer de nos comportements, de nos représentations ni de nos modes de vie. Surtout, cette réduction de notre emprunte écologique va offrir des opportunités juteuses, source de croissance économique, d’emplois, de biens de consommation et de dividendes. Bref, de quoi garder tout le monde satisfait de notre modèle de développement actuel. La voiture électrique est un exemple parfait d’écoblanchiment : l’écologie, c’est facile, yaka acheter une nouvelle bagnole. Notre société peut continuer à considérer la voiture privative comme une source de liberté individuelle et de gratification symbolique, sans chercher à remettre en question ses fondements consuméristes et productivistes, qui sont la véritable cause des dégradations environnementales systématiques qu’elle produit.
Pour finir, quelques rares bulles d’air attrapées pendant une flânerie dans les rues de Mer. Crédits : Nicolas Patissier pour Studio Zef
Or, c’est bien l’hégémonie de la voiture individuelle privative sur nos modes de déplacement et sur la morphologie de nos villes, qui pose problème :
- en multipliant l’insécurité routière
- en organisant une ville segmentée, avec une majorité d’espaces inutilisables par les autres usagers
- en justifiant le développement de zones résidentielles, commerciales, industrielles périphériques, favorisant ainsi la déprise économique des centres-villes et des bourgs ruraux, et entraînant l’artificialisation de 60.350 hectares de sols par an (période 2005-2010)
- en créant un gaspillage systématique d’énergie et d’espace, puisqu’une voiture est en moyenne occupée par 1,3 personnes, et n’est utilisée que 5 % du temps
C’est pour cela que cette fête de l’écomobilité de Mer laisse un goût amer dans la bouche. L’action de la municipalité dans ce domaine est sans doute louable, mais semble dérisoire au milieu d’un tel paradis de la bagnole : c’est sur cette hégémonie même qu’il convient de travailler, comme le font de plus en plus les grandes villes et les villes moyennes. Mais revenir sur les privilèges exorbitants de l’automobiliste aurait sans doute un coût électoral certain aux prochaines élections municipales.
Documentation complémentaire :
Réseau action climat, Les solutions de mobilité soutenable en milieu rural et périurbain, mars 2014
Cerema, « La mobilité en transition », Transflash, n° 398, juin 2015
Réseau action climat, Les villes « respire » de demain. Agir sur la mobilité et les transports face à l’urgence sanitaire et climatique, septembre 2016
Réseau action climat, Huit conditions du développement de l’électromobilité. Pour l’inscrire dans la transition écologique et la lutte contre les changements climatiques, 4 décembre 2017
Frédéric Héran, Le système vélo, 28 mai 2018
Interlude musical :
Claude Nougaro – Langue de bois
Et le reportage en podcast :
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